neonbrand 5ddH9Y2accI unsplash

- Selon Confessions of a Supply-Side Liberal, il semblerait qu’il existe une forte relation entre les taux d'obésité et les taux d'anorexie. Par quel dérèglement chimique ou génétique peut-on expliquer cette corrélation ?


L’obésité, l’anorexie et la boulimie sont d’importants facteurs affectant la santé d’une partie croissante de la population, considérés même comme phénomène épidémique. Ces désordres sont liés à de nombreux déterminants comme la disponibilité alimentaire, l’équilibre nutritionnel du régime, l’activité physique, la susceptibilité génétique mais aussi les stress sociaux et environnementaux (expositions aux polluants). Ces désordres métaboliques (incluant le diabète et appelés syndrome métabolique) peuvent augmenter les risques de nombreuses maladies chroniques contribuant ainsi à une diminution de la qualité de vie et de l’espérance de vie.
Les mécanismes qui sous-tendent les altérations du comportement alimentaire sont complexes et multi-étapes avec des aspects génétiques, hormonaux, neurologiques et psychologiques (ou psychiatriques), ce qui ouvre à l’interaction possible de nombreux facteurs. Les signes évidents de ces altérations se traduisent par des variations de poids et de silhouette. La régulation du comportement alimentaire met en jeu, des hormones gastro-intestinales puis des signaux agissent au niveau central sur des structures clés de l'hypothalamus et du tronc cérébral. L'ingestion d'aliments s’accompagne aussi d’un plaisir ressenti appelé « boucle de la récompense » qui permet à l'organisme de se diriger vers des nourritures essentielles au maintien d'une balance énergétique. Intervient dans ce cas un circuit dopaminergique impliquant des récepteurs spécifiques (D 2/3). Lors de dysrégulations du comportement alimentaire on observe des altérations notables dans la régulation des signaux endocrines (leptine, insuline…) et dans la transmission dopaminergique.


- Nous semblons observer une prévalence de l’anorexie chez les adolescents et les jeunes adultes, en particulier les femmes. L’exposition à des produits chimiques lors du développement, peut-elle expliquer ce phénomène ? Les cosmétiques, ont-ils un rôle dans ces perturbations comportementales ?


Les altérations du comportement alimentaire ont évidemment une large part de facteurs psychologiques et donc sont susceptibles de se manifester à des périodes charnières de la vie ou l’individu construit sa relation avec la société et l’environnement qui l’entoure. Evidemment l’adolescence est la période la plus critique, en particulier pour les jeunes filles sensibles aux effets de mode et de références esthétiques. Mais il est aussi difficile d’identifier le « facteur premier ». Pour ce qui concerne les aspects esthétiques (silhouette) le facteur génétique est évidemment déterminant mais il joue aussi dans la susceptibilité. Par exemple les populations issues du Maghreb ont une prédisposition au diabète et au surpoids, qui se manifeste dans les pays d’origine et d’émigration. Dans Ce cas, des changements significatifs de régime alimentaire augmentent les risques d’obésité (exemple avec les afro-américains). Comme la régulation pondérale est fortement lié à des équilibres hormonaux, le développement des connaissances sur les mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens a permis de mieux établir les relations entre la pollution environnementale et le syndrome métabolique. Si on considère les atteintes possibles au métabolisme des lipides on peut se référer aux substances pouvant interagir avec le récepteur PPAR comme les phtalates, les PFAS, les organoétains, ou même des substances naturelles comme la génistéine présente dans le soja. D’autres contaminants interfèrent avec la sécrétion d’insuline comme certains éléments traces (As), mais aussi des POPs (DDT, PCBs) des pesticides comme l’atrazine ou des additifs comme le glutamate. D’autres interactions peuvent se réaliser via les récepteurs au glucocorticoïdes (ex. le BPA). De nombreuses études ont aussi porté sur les fumeurs et on a constaté que le fait de fumer ou le sevrage pouvaient entrainer de fortes variations pondérales. On a aussi ces mêmes réactions avec des médicaments comme les benzodiazépines ou d’autres drogues.


- Il y a-t-il des périodes de la vie où nous sommes plus susceptibles aux produits chimiques dans notre environnement ? S’en protéger diminuera-t-il l’incidence de l’obésité, du diabète et de l’anorexie dans nos sociétés occidentales ?


La période la plus sensibles est à l’évidence la phase d’organogénèse, correspondant à la gestation et à la période post natale (souvent appelée période des 1000 jours). Un bon exemple est donné chez les femmes fumeuses. Dans la fumée de cigarette, il y a aussi les goudrons (HAPs) qui jouent sur le fonctionnement des adipocytes chez le nouveau-né, ce qui entraîne un poids réduit à la naissance (de 200 à 400g) mais un risque de surpoids et d’obésité dans la suite du développement (+ de 10 cigarettes/jour). C’est pour cela que des études de bio-surveillance analysent le sang du cordon et le lait, deux voies d’exposition fœtale et néonatale. De même la malnutrition pendant la gestation à des conséquences graves sur le métabolisme et le comportement du futur enfant. Des déséquilibres alimentaires au cours de l’enfance et de l’adolescence peuvent être un facteur d’obésité. Pour conclure on peut dire que les causes d’altérations du comportement alimentaire sont multiples, mal connues et sont l’objet d’intenses recherches. Par exemple avec mon équipe de nutrition et toxicologie de l’Université St Joseph de Beyrouth, nous avons cherché à discriminer sur une cohorte de 250 personnes les paramètres pouvant induire le syndrome métabolique. Entre contamination, pratique d’un sport, données sociologiques et alimentation, c’est le facteur « changement de profil alimentaire » qui apparait comme le plus déterminant.


Glossaire :


PFAS : composés polyfluoroalkylés, PCB : Polychlorobiphényles, HAP : Hydrocarbures aromatiques polycycliques, POPs : Polluants organiques persistants, BPA : Bisphénol A, PPAR : Récepteur activé par les proliférateurs de peroxysomes (peroxisome proliferator-activated receptor, PPAR) appartient à la superfamille des récepteurs nucléaires agissant comme facteur de transcription des gènes impliqués notamment dans le métabolisme des lipides et l'adipogenèse.

 

Retrouvez le texte de Jean-François NARBONNE directement sur le site d'ATLANTICO